История кавалера де Грие и Манон Леско = Ніstoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut - стр. 39
Je rompis presque aussitôt notre entretien, et je fis part à Lescaut, en retournant chez lui, du dessein que j’avais conçu. « Je m’imagine, lui dis-je, que monsieur de T*** le fils, qui est riche et de bonne famille, est dans un certain goût de plaisirs, comme la plupart des jeunes gens de son âge. Il ne saurait être ennemi des femmes, ni ridicule au point de refuser ses services pour une affaire d’amour. J’ai formé le dessein de l’intéresser à la liberté de Manon. S’il est honnête homme et qu’il ait des sentiments, il nous accordera son secours par générosité. S’il n’est point capable d’être conduit par ce motif, il fera du moins quelque chose pour une fille aimable, ne fût-ce que par l’espérance d’avoir part à ses faveurs. Je ne veux pas différer de le voir, ajoutai-je, plus longtemps que jusqu’à demain. Je me sens si consolé par ce projet, que j’en tire un bon augure. »
Lescaut convint lui-même qu’il y avait de la vraisemblance dans mes idées, et que nous pouvions espérer quelque chose par cette voie. J’en passai la nuit moins tristement.
Le matin étant venu, je m’habillai le plus proprement qu’il me fut possible dans l’état d’indigence où j’étais et je me fis conduire dans un fiacre à la maison de monsieur de T***. Il fut surpris de recevoir la visite d’un inconnu. J’augurai bien de sa physionomie et de ses civilités. Je m’expliquai naturellement avec lui ; et, pour échauffer ses sentiments naturels, je lui parlai de ma passion et du mérite de ma maîtresse comme de deux choses qui ne pouvaient être égalées que l’une par l’autre. Il me dit que quoiqu’il n’eût jamais vu Manon, il avait entendu parler d’elle, du moins s’il s’agissait de celle qui avait été la maîtresse du vieux G*** M***. Je ne doutai point qu’il ne fût informé de la part que j’avais eue à cette aventure ; et, pour le gagner de plus en plus en me faisant un mérite de ma confiance, je lui racontai le détail de tout ce qui était arrivé à Manon et à moi. « Vous voyez, monsieur, continuai-je, que l’intérêt de ma vie et celui de mon cœur sont entre vos mains. L’un ne m’est pas plus cher que l’autre. Je n’ai point de réserve avec vous, parce que je suis informé de votre générosité, et que la ressemblance de nos âges me fait espérer qu’il s’en trouvera quelqu’une dans nos inclinations. »
Il parut fort sensible à cette marque d’ouverture et de candeur. Sa réponse fut celle d’un homme qui a du monde et des sentiments ; ce que le monde ne donne pas toujours, et qu’il fait perdre souvent. Il me dit qu’il mettait ma visite au rang de ses bonnes fortunes, qu’il regarderait mon amitié comme une de ses plus heureuses acquisitions, et qu’il s’efforcerait de la mériter par l’ardeur de ses services.