История кавалера де Грие и Манон Леско = Ніstoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut - стр. 30
Enfin, l’heure du sommeil étant arrivée, il parla d’amour et d’impatience. Nous nous retirâmes, Lescaut et moi. On le conduisit à sa chambre ; et Manon, étant sortie sous prétexte d’un besoin, nous vint rejoindre à la porte. Le carrosse, qui nous attendait trois ou quatre maisons plus bas, s’avança pour nous recevoir. Nous nous éloignâmes en un instant du quartier.
Quoiqu’à mes propres yeux cette action fût une véritable friponnerie, ce n’était pas la plus injuste que je crusse avoir à me reprocher. J’avais plus de scrupule sur l’argent que j’avais acquis au jeu. Cependant nous profitâmes aussi peu de l’un que de l’autre, et le ciel permit que la plus légère de ces deux injustices fût la plus rigoureusement punie.
Monsieur de G*** M*** ne tarda pas longtemps à s’apercevoir qu’il était dupé. Je ne sais s’il fit dès le soir même quelques démarches pour nous découvrir ; mais il eut assez de crédit pour n’en pas faire longtemps d’inutiles, et nous assez d’imprudence pour compter trop sur la grandeur de Paris et sur l’éloignement qu’il y avait de notre quartier au sien. Non seulement il fut informé de notre demeure et de nos affaires présentes, mais il apprit aussi qui j’étais, la vie que j’avais menée à Paris, l’ancienne liaison de Manon avec de B***, la tromperie qu’elle lui avait faite ; en un mot, toutes les parties scandaleuses de notre histoire. Il prit là-dessus la résolution de nous faire arrêter, et de nous traiter moins comme des criminels que comme de fieffés libertins. Nous étions encore au lit lorsqu’un exempt de police entra dans notre chambre avec une demi-douzaine de gardes. Ils se saisirent d’abord de notre argent, ou plutôt de celui de monsieur de G*** M*** ; et, nous ayant fait lever brusquement, il nous conduisirent à la porte, où nous trouvâmes deux carrosses, dans l’un desquels la pauvre Manon fut enlevée sans explication, et moi traîné dans l’autre à Saint-Lazare.
Mes gardes ne m’ayant point averti non plus du lieu où ils avaient ordre de me conduire, je ne connus mon destin qu’à la porte de Saint-Lazare. J’aurais préféré la mort, dans ce moment, à l’état où je me crus près de tomber ; j’avais de terribles idées de cette maison. Ma frayeur augmenta lorsqu’en entrant les gardes visitèrent une seconde fois mes poches, pour s’assurer qu’il ne me restait ni armes ni moyens de défense.
Le supérieur parut à l’instant ; il était prévenu sur mon arrivée. Il me salua avec beaucoup de douceur. « Mon père, lui dis-je, point d’indignités ; je perdrai mille vies avant que d’en souffrir une. – Non, non, monsieur, me répondit-il ; vous prendrez une conduite sage, et nous serons contents l’un de l’autre. » Il me pria de monter dans une chambre haute. Je le suivis sans résistance. Les archers nous accompagnèrent jusqu’à la porte, et le supérieur, y étant entré, leur fit signe de se retirer.