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История кавалера де Грие и Манон Леско = Ніstoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut - стр. 9

D’un autre côté, je ne l’avais presque pas perdue de vue depuis que nous étions à Paris. Occupations, promenades, divertissements, nous avions toujours été l’un à côté de l’autre : mon Dieu ! un instant de séparation nous aurait trop affligés. Il fallait nous dire sans cesse que nous nous aimions ; nous serions morts d’inquiétude sans cela. Je ne pouvais donc m’imaginer presque un seul moment où Manon pût s’être occupée d’un autre que moi.

A la fin, je crus avoir trouvé le dénoûment de ce mystère. Monsieur de B***, dis-je en moi-même, est un homme qui fait de grosses affaires et qui a de grandes relations ; les parents de Manon se seront servis de cet homme pour lui faire tenir quelque argent. Elle en a peut-être déjà reçu de lui ; il est venu aujourd’hui lui en apporter encore. Elle s’est fait sans doute un jeu de me le cacher, pour me surprendre agréablement. Peut-être m’en aurait-elle parlé si j’étais rentré à l’ordinaire, au lieu de venir ici m’affliger ; elle ne me le cachera pas du moins lorsque je lui en parlerai moi-même.

Je me remplis si fortement de cette opinion, qu’elle eut la force de diminuer beaucoup ma tristesse. Je retournai sur-le-champ au logis. J’embrassai Manon avec ma tendresse ordinaire. Elle me reçut fort bien. J’étais tenté d’abord de lui découvrir mes conjectures, que je regardais plus que jamais comme certaines ; je me retins, dans l’espérance qu’il lui arriverait peut-être de me prévenir en m’apprenant tout ce qui s’était passé.

On nous servit à souper. Je me mis à table d’un air fort gai ; mais, à la lumière de la chandelle qui était entre elle et moi, je crus apercevoir de la tristesse sur le visage et dans les yeux de ma chère maîtresse. Cette pensée m’en inspira aussi. Je remarquai que ses regards s’attachaient sur moi d’une autre façon qu’ils n’avaient accoutumé. Je ne pouvais démêler si c’était de l’amour ou de la compassion, quoiqu’il me parût que c’était un sentiment doux et languissant. Je la regardai avec la même attention ; et peut-être n’avait-elle pas moins de peine à juger de la situation de mon coeur par mes regards. Nous ne pensions ni à parler, ni à manger. Enfin je vis tomber des larmes de ses beaux yeux : perfides larmes !

« Ah ! Dieu, m’écriai-je, vous pleurez, ma chère Manon vous êtes affligée jusqu’à pleurer, et vous ne me dites pas un seul mot de vos peines ! Elle ne me répondit que par quelques soupirs qui augmentèrent mon inquiétude. Je me levai en tremblant, je la conjurai avec tous les empressements de l’amour de me découvrir le sujet de ses pleurs ; j’en versai moi-même en essuyant les siens ; j’étais plus mort que vif. Un barbare aurait été attendri des témoignages de ma douleur et de ma crainte.

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