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История кавалера де Грие и Манон Леско = Ніstoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut - стр. 34

J’attendis le retour du père avec toutes les agitations d’un malheureux qui touche au moment de sa sentence. Il ne tarda point à revenir. Je ne vis pas sur son visage les marques de joie qui accompagnent une bonne nouvelle. « J’ai parlé, me dit-il, à monsieur le lieutenant général de police, mais je lui ai parlé trop tard. Monsieur de G*** M*** l’est allé voir en sortant d’ici, et l’a si fort prévenu contre vous, qu’il était sur le point de m’envoyer de nouveaux ordres pour vous resserrer davantage.

Cependant, lorsque je lui ai appris le fond de vos affaires, il a paru s’adoucir beaucoup ; et, riant un peu de l’incontinence du vieux monsieur de G*** M***, il m’a dit qu’il fallait vous laisser ici six mois pour le satisfaire : d’autant mieux, a-t-il dit, que cette demeure ne saurait vous être inutile. Il m’a recommandé de vous traiter honnêtement, et je vous réponds que vous ne vous plaindrez point de mes manières. »

Cette explication du bon supérieur fut assez longue pour me donner le temps de faire une sage réflexion. Je conçus que je m’exposerais à renverser mes desseins, si je lui marquais trop d’empressement, pour ma liberté. Je lui témoignai, au contraire, que, dans la nécessité de demeurer, c’était une douce consolation pour moi d’avoir quelque part à son estime. Je le priai ensuite, sans affectation, de m’accorder une grâce qui n’était de nulle importance pour personne, et qui servirait beaucoup à ma tranquillité : c’était de faire avertir un de mes amis, un saint ecclésiastique qui demeurait à Saint-Sulpice, que j’étais à Saint-Lazare, et de permettre que je reçusse quelquefois sa visite. Cette faveur me fut accordée sans délibérer.

C’était mon ami Tiberge dont il était question, non que j’espérasse de lui des secours nécessaires pour ma liberté, mais je voulais l’y faire servir comme un instrument éloigné, sans qu’il en eût même connaissance. En un mot, voici mon projet : je voulais écrire à Lescaut, et le charger, lui et nos amis communs, du soin de me délivrer. La première difficulté était de lui faire tenir ma lettre ; ce devait être l’office de Tiberge. Cependant, comme il le connaissait pour le frère de ma maîtresse, je craignais qu’il n’eût peine à se charger de cette commission. Mon dessein était de renfermer ma lettre à Lescaut dans une autre lettre que je devais adressera un honnête homme de ma connaissance, en le priant de rendre promptement la première à son adresse ; et comme il était nécessaire que je visse Lescaut pour nous accorder dans nos mesures, je voulais lui marquer de venir à Saint-Lazare, et de demander à me voir sous le nom de mon frère aîné, qui était venu exprès à Paris pour prendre connaissance de mes affaires. Je remettais à convenir avec lui des moyens qui nous paraîtraient les plus expéditifs et les plus sûrs. Le père supérieur fit avertir Tiberge du désir que j’avais de l’entretenir. Ce fidèle ami ne m’avait pas tellement perdu de vue qu’il ignorât mon aventure ; il savait que j’étais à Saint-Lazare, et peut-être n’avait-il pas été fâché de cette disgrâce, qu’il croyait capable de me ramener au devoir. Il accourut aussitôt à ma chambre.

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