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История кавалера де Грие и Манон Леско = Ніstoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut - стр. 2

Je me tournai vers le coin de la chambre où ce jeune homme était assis. Il paraissait enseveli dans une rêverie profonde. Je n’ai jamais vu de plus vive image de la douleur. Il était mis fort simplement ; mais on distinguait au premier coup d’œil un homme qui avait de la naissance et de l’éducation. Je m’approchai de lui. Il se leva, et je découvris dans ses yeux, dans sa figure et dans tous ses mouvements, un air si fin et si noble, que je me sentis porté naturellement à lui vouloir du bien. « Que je ne vous trouble point, lui dis-je en m’asseyant près de lui. Voulez-vous bien satisfaire la curiosité que j’ai de connaître cette belle personne qui ne me paraît point faite pour le triste état où je la vois ? »

Il me répondit honnêtement qu’il ne pouvait m’apprendre qui elle était sans se faire connaître lui-même, et qu’il avait de fortes raisons pour souhaiter de demeurer inconnu. « Je puis vous dire néanmoins ce que ces misérables s’ignorent point, continua-t-il en montrant les archers ; c’est que je l’aime avec une passion si violente qu’elle me rend le plus infortuné de tous les hommes. J’ai tout employé, à Paris, pour obtenir sa liberté. Les sollicitations, l’adresse et la force m’ont été inutiles ; j’ai pris le parti de la suivre, dût-elle aller au bout du monde. Je m’embarquerai avec elle. Je passerai en Amérique. »

« Mais ce qui est de la dernière inhumanité, ces lâches coquins, ajouta-t-il en parlant des archers, ne veulent pas me permettre d’approcher d’elle. Mon dessein était de les attaquer ouvertement à quelques lieues de Paris. Je m’étais associé quatre hommes qui m’avaient promis leur secours pour une somme considérable. Les traîtres m’ont laissé seul aux mains, et sont partis avec mon argent. L’impossibilité de réussir par la force m’a fait mettre les armes bas. J’ai proposé aux archers de me permettre du moins de les suivre, en leur offrant de les récompenser. Le désir du gain les y a fait consentir. Ils ont voulu être payés chaque fois qu’ils m’ont accordé la liberté de parler à ma maîtresse. Ma bourse s’est épuisée en peu de temps ; et maintenant que je suis sans un sou, ils ont la barbarie de me repousser brutalement lorsque je fais un pas vers elle. Il n’y a qu’un instant qu’ayant osé m’en approcher malgré leurs menaces, ils ont eu l’insolence de lever contre moi le bout du fusil. Je suis obligé, pour satisfaire leur avarice et pour me mettre en état de continuer la route à pied, de vendre ici un mauvais cheval qui m’a servi jusqu’à présent de monture. »

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