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История кавалера де Грие и Манон Леско = Ніstoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut - стр. 17

Pour me faire valoir davantage le sacrifice qu’elle me faisait de B***, elle résolut de ne pas garder avec lui le moindre ménagement. « Je veux lui laisser ses meubles, me dit-elle, ils sont à lui ; mais j’emporterai, comme de justice, les bijoux et près de soixante mille francs que j’ai tirés de lui depuis deux ans. Je ne lui ai donné nul pouvoir sur moi, ajouta-t-elle : ainsi, nous pouvons demeurer sans crainte à Paris, en prenant une maison commode où nous vivrons heureusement. »

Je lui représentai que, s’il n’y avait point de péril pour elle, il y en avait beaucoup pour moi, qui ne manquerais point tôt ou tard d’être reconnu, et qui serais continuellement exposé au malheur que j’avais déjà essuyé. Elle me fit entendre qu’elle aurait du regret à quitter Paris. Je craignais tant de la chagriner, qu’il n’y avait point de hasard que je ne méprisasse pour lui plaire ; cependant nous trouvâmes un tempérament raisonnable, qui fut de louer une maison dans quelque village voisin de Paris, d’où il nous serait aisé d’aller à la ville lorsque le plaisir ou le besoin nous y appellerait. Nous choisîmes Chaillot, qui n’en est pas éloigné. Manon retourna sur-le-champ chez elle. J’allai l’attendre à la petite porte du jardin des Tuileries.

Elle revint, une heure après, dans un carrosse de louage, avec une fille qui la servait et quelques malles où ses habits et tout ce qu’elle avait de précieux étaient renfermés.

Nous ne tardâmes point à regagner Chaillot. Nous logeâmes la première nuit à l’auberge, pour nous donner le temps de chercher une maison, ou du moins un appartement commode. Nous en trouvâmes, dès le lendemain, un de notre goût.

Mon bonheur me parut d’abord établi d’une manière inébranlable. Manon était la douceur et la complaisance même. Elle avait pour moi des attentions si délicates, que je me crus trop parfaitement dédommagé de toutes mes peines. Comme nous avions acquis tous deux un peu d’expérience, nous raisonnâmes sur la solidité de notre fortune. Soixante mille francs, qui faisaient le fonds de nos richesses, n’étaient point une somme qui pût s’étendre autant que le cours d’une longue vie. Nous n’étions pas disposés d’ailleurs à resserrer trop notre dépense. La première vertu de Manon, non plus que la mienne, n’était pas l’économie. Voici le plan que je lui proposai : « Soixante mille francs, lui dis-je, peuvent nous soutenir pendant dix ans. Deux mille écus nous suffiront chaque année, si nous continuons de vivre à Chaillot. Nous y mènerons une vie honnête, mais simple. Notre unique dépense sera pour l’entretien d’un carrosse et pour les spectacles. Nous nous réglerons. Vous aimez l’Opéra, nous irons deux fois la semaine. Pour le jeu, nous nous bornerons tellement, que nos pertes ne passeront jamais deux pistoles. Il est impossible que dans l’espace de dix ans il n’arrive point de changement dans ma famille ; mon père est âgé, il peut mourir ; je me trouverai du bien, et nous serons alors au-dessus de toutes nos autres craintes. »

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